Une fois n'est pas coutume, je parlerai ici de mon métier, à la demande (fort lointaine, mea culpa) de
la miss et de
l'autre miss.
Voici donc les cinq questions régulièrement posées qui ont le don de nous hérisser le poil, tant elles véhiculent de clichés éculés sur notre métier. Et comme le meilleur moyen de combattre les
clichés, c'est d'éduquer, c'est parti !
1) Ah, tu es traductrice, dans les cabines à l'ONU ou au Parlement Européen, c'est ça ?
Eh non. Les personnes qui sont dans des cabines et "traduisent" discours et allocutions sont des interprètes, non des traducteurs. On distingue en effet l'interprétation (à l'oral, que ce soit
consécutif ou simultané) de la traduction (à l'écrit), deux métiers qui se ressemblent certes pour le néophyte puisqu'ils visent tous les deux à faire passer un message dans une autre langue que
celle de départ, mais dont les méthodes et les enjeux diffèrent (la parole s'envole, les écrits restent... pour caricaturer). Donc si je dis que je suis traductrice, je travaille exclusivement à
l'écrit (on peut bien sûr être à la fois traducteur et interprète !).
Client : "Est-ce que vous traduisez pour des tribunaux ?"
Mox : "Non, je suis traducteur, je travaille à l'écrit.
- Un traducteur ? Super, vous pouvez venir à mon audience demain ?
- La traduction et l'interprétation sont deux métiers différents. Moi je traduis par écrit.
- Je ne comprends pas... vous n'êtes pas intéressé ?
- Je plaisantais. Je ne suis pas traducteur, je suis jongleur..."
2) Traductrice, c'est bien ça, tu dois être bilingue !
Au risque de vous décevoir... non je ne suis pas bilingue. Très à l'aise, peut-être, mais pas bilingue. Le bilinguisme est un concept très particulier, propre aux personnes qui utilisent
indifféremment deux langues pour des situations réflexes telles que le fait de rêver, de compter, etc. et qui ne maîtrisent pas l'une mieux que l'autre. C'est typiquement le cas des enfants de
familles mixtes, qui se débrouillent parfaitement dans deux langues mais ne sont pas exempts de fautes d'expression. En effet, il est déjà difficile de maîtriser une langue à la perfection, alors
deux... Or l'une des principales compétences d'un bon traducteur, c'est d'avoir une maîtrise presque parfaite de la langue vers laquelle il traduit, dans toutes ses subtilités (bien au-delà des
fautes de syntaxe ou d'orthographe), pour réussir à transcrire le message reçu comme s'il avait été directement rédigé/exprimé dans la langue d'arrivée. Être bilingue ne signifie donc pas
nécessairement être bon traducteur, et inversement, c'est même rarement le cas.
3) Et tu traduis de l'anglais à l'allemand directement ?
Ouhlà, on se calme ! Un traducteur professionnel ne traduit en principe que vers sa langue maternelle. Ne serait-ce que parce que c'est celle qu'il maîtrise le mieux et donc dans laquelle il sera
le plus à même de transcrire correctement le message (cf. question 2). Et si parfois (rarement !), on peut être amené à traduire à partir de sa langue maternelle, jamais on ne traduit entre deux
langues étrangères, vous imaginez le risque de maladresses d'expression (voire d'erreurs) ?
Client : "M. Calvo, vous m'avez envoyé le mauvais document!
Veuillez m'envoyer ma traduction s'il vous plaît, c'est très urgent.
Calvo : Laissez moi vérifier... je vous ai envoyé le bon document,
et dans les délais impartis. De quoi parlez-vous ?
- Ce n'est pas la bonne traduction. Les phrases ne correspondent pas
et votre traduction contient 5 % de mots de plus que l'original. Pour qui me prenez-vous ?
- ... Vous ne parlez qu'une seule langue, n'est-ce pas ?"
4) Ah oui, traductrice, tu veux dire que tu traduis des livres ?
Eh non. Si ça a pu être l'une de mes premières motivations et l'un de mes premiers rêves en choisissant ce métier... c'est loin de constituer l'essentiel de la profession ! Grosso modo, seuls 10 %
des traducteurs professionnels travaillent pour l'édition. Les autres (dont moi) sont traducteurs techniques ou spécialisés, et travaillent soit pour des entreprises, soit pour des organisations
nationales ou internationales, soit pour des administrations... toute personne susceptible d'avoir besoin d'une traduction !
5) Ah, tu traduis des modes d'emploi alors ?
Encore une fois, non. Ou plutôt : si, ça peut arriver, mais ce sont rarement ceux que vous trouvez avec votre micro-ondes ou a fortiori avec le réveil offert pour 20 euros d'achat chez BIIIIP.
Plutôt des modes d'emploi de machines industrielles ou équivalents pour lesquels il faut une connaissance précise de la terminologie employée. Mais plus généralement, les traductions demandées
peuvent être très diverses, du communiqué de presse au catalogue, en passant par la présentation P0werp0int, les pages de sites Internet, les contrats, les statuts, les courriers importants... bref
tous les documents qui peuvent être utiles à la vie d'une entreprise ou d'un service, voire d'un particulier.
Remplacement d'une ampoule grillée
Mox : "Un peu de patience, chérie. L'électricité ne fait pas partie de mes domaines de spécialité.
Lena : Combien de traducteurs faut-il pour changer une ampoule ?
- Ca dépend du contexte..."
Question subsidiaire : J'ai besoin de faire traduire mon diplôme pour aller aux Etats-Unis, là, tu peux m'aider ?
Là encore... non. Enfin, pas si je ne suis pas experte auprès d'un tribunal (et ça ne risque pas d'être mon cas, il faut justifier de 5 ans d'expérience minimum). Le mieux dans ce cas de figure est
de s'adresser au tribunal d'instance de son domicile ou de rechercher un traducteur expert auprès de la SFT (société française des traducteurs). Et si ce n'est pas un document officiel que vous
avez besoin de traduire... sachez quand même qu'une prestation intellectuelle, comme une réalisation artisanale, ça se paie... au temps passé. Et que c'est long, de traduire une page. Sauf pour
G0g0l trads, évidemment. Mais ce n'est pas tout à fait le même résultat. Donc difficile de traduire pour le neveu de la cousine du grand-père un bouquin de 200 pages dont il a AB-SO-LU-MENT besoin
pour sa thèse et qui est introuvable en français : soit il s'entend avec un éditeur, soit... il apprend la langue source. C'est dommage car ça ferme l'accès à des sources de connaissance mais c'est
la vie.
*Toute ressemblance avec des faits existants n'est pas du tout fortuite. :)
** Illustrations extraites de l'excellent blog "
Mox's blog", réalisées par un traducteur professionnel, inspirées de sa pratique personnelle ou
d'autres traducteurs. Traductions personnelles rapides, largement perfectibles.